LUTTE CONTRE L’IMPUNITE DES CRIMES GRAVES EN REPUBLIQUE DEMOCRATIQUE DU CONGO « LA SOCIETE CONGOLAISE POUR L’ETAT DE DROIT EVALUE LA REPONSE JUDICIAIRE ET EXTRAJUDICIAIRE AUX ATROCITES COMMISES DANS LA REGION DU KASAI »


Maître Dominique KAMBALA, Bâtonnier du Kasaï Central



LUTTE CONTRE L’IMPUNITE DES CRIMES GRAVES EN REPUBLIQUE DEMOCRATIQUE DU CONGO « LA SOCIETE CONGOLAISE POUR L’ETAT DE DROIT  EVALUE LA REPONSE JUDICIAIRE  ET EXTRAJUDICIAIRE AUX ATROCITES COMMISES
DANS LA REGION DU KASAI »

 

I.             INTRODUCTION :

 

Entre 2016 et 2017, la Région du Kasaï, en République Démocratique du Congo, a connu une vague de violences sanglantes perpétrées par des groupes armés (les milices KAMUINA NSAPU, BANA MURA et Ecurie MBEMBE) et des éléments des forces de défense et de sécurité (FARDC, PNC, ANR et DGM).

 

Plusieurs milliers de personnes ont perdu la vie, d’innombrables exactions ont été commises contre des civils et des villages entiers ont été incendiés et pillés. Les violences ont également occasionné le déplacement de plus d’un million de personnes, provoquant ainsi une crise humanitaire aiguë (1).

 

A la demande du Conseil des droits de l’homme, le Haut-Commissaire des Nations Unies aux Droits de l’homme avait dépêché en 2017 une Equipe de trois Experts Internationaux afin d’établir les faits et les circonstances des violations présumées des droits de l’homme et des violations au droit international humanitaire dans la Région du Kasaï.(2)

 

Du haut de la tribune de la Conférence sur la paix, la réconciliation et le développement dans l’espace Kasaien tenue à Kananga au mois de septembre 2017, l’ancien Président Joseph KABILA avait dit dans son discours inaugural que : « voilà pourquoi, depuis le mois de mars 2017, j’exige que justice soit faite. Qu’aucun crime commis ne reste impuni ; Qu’aucun responsable à des degrés divers impliqués ne soit épargné par la reddition des comptes » (3).

 

Dans son rapport soumis au Conseil des droits de l’homme en juillet 2018, l’Equipe des Experts Internationaux avait conclu que les parties en présence avaient :

 

a)   délibérément tué des civils dont de nombreux enfants,

 

b)   commis de nombreuses atrocités, notamment de mutilation, des viols et d’autres formes de violences sexuelles,

 

c)    détruit des villages entiers.

 

 

 

(1) Rapport de l’Equipe d’Experts Internationaux sur la situation au Kasaï (A/HRC/3821, P. 105 à 109. (2 ) Résolution

 

(3) Discours inaugural de la Conférence sur la paix, la réconciliation et le développement de l’espace Kasaien 2017.

 



Elle avait également conclu que certaines de ces exactions constituaient des crimes contre l’humanité ou des crimes de guerre, ainsi que des violations graves des droits de l’homme.

 

Prenant note avec préoccupation des conclusions formulées par l’Equipe d’Experts internationaux, le Conseil des droits de l’homme avait demandé au Haut-Commissaire de dépêcher une nouvelle équipe en vue d’assurer le suivi et soutenir la mise en œuvre par la RDC des recommandations par l’Equipe précédente.

 

C’est dans ce cadre que les Experts internationaux, Bacre Waly et Sheila Keetharuth ainsi que le Secrétariat mis en place ont apporté leur soutien aux autorités compétentes congolaises, en organisant des ateliers thématiques, l’un sur la stratégie d’enquêtes et de poursuites dans le cadre de la lutte contre l’impunité le 28 février 2019, à Tshikapa et l’autre rassemblant les parties prenantes aux efforts de réconciliation et de justice de transition dans la région du Kasaï les 17 et 18, à Kananga.

 

Guidé par les principes internationaux en matière de sélection et de hiérarchisation des dossiers et orienté par la stratégie de poursuites des crimes internationaux, l’Auditorat militaire supérieur de l’ancien Kasaï –occidental avait arrêté avec le soutien de la MONUSCO et du PNUD une liste de 16 incidents considérés comme prioritaires pour enquêtes.

 

Il s’agit des dossiers suivants : - les opérations « porte à porte » des FARDC dans la Commune de Nganza, - les opérations » porte à porte » du camp de l’Eglise Christ Roi Mulombodi, - la disparition des inspecteurs de l’enseignement primaire et secondaire, - l’attaque menée par les éléments de FARDC au marché du village Tshisuku, - le meurtre de 37 policiers de la Légion nationale d’ intervention de la Police Nationale Congolaise, - le maintien et la captivité des femmes et des enfants par les miliciens Bana Mura, - le recrutement d’enfants dans le Territoire de Luebo Lulengele, - l’incendie de l’archevêché, des écoles et décapitation de l’épouse de l’Administrateur du Territoire de Luebo, - l’affaire Mutshima, - l’affaire Diboko, l’affaire Tshikapa, - le dossier de viol collectif à Katoka, - le dossier Tshimpidinga, - le dossier Nkoto, - dossier Maswika, et - le dossier massacre de Tshimbulu (4).

 

A ces dossiers, il convient d’ajouter celui de l’assassinat des deux Experts Onusiens Zaida Catalan et Michael Sharp.

 

Près de quatre ans après la perpétration de ces incidents, la Société Congolaise pour l’Etat de Droit a jugé opportun de se livrer à un exercice très périlleux consistant à évaluer les réponses apportées sur le plan judiciaire et extrajudiciaire.

 

(4) Rapport de l’EEI sur la situation au Kasaï (AIHRC G1/B1) page 31 – 38.

 



Cette évaluation concerne 14 dossiers un total de 17 jugés emblématiques et prioritaires par l’office de l’AMS.

 

En élaborant ce rapport, la Société Congolaise pour l’Etat de droit voudrait apporter sa pierre dans la construction d’un véritable Etat de droit par la lutte contre l’impunité, qui représente le triomphe du mensonge, du silence et de l’oubli.5

 

II.          EVALUATION  DE LA REPONSE JUDICIAIRE.

 

La réponse judiciaire apportée à la situation des crimes commis dans la Région du Kasaï est essentiellement donnée par la justice militaire. Celle-ci vise à lutter efficacement contre l’impunité, non seulement en traduisant les auteurs des crimes devant les instances judiciaires.

 

Elle vise également le rétablissement de la vérité, la sanction juridique des criminels et la reconstruction de l’Etat sur les bases démocratiques. En condamnant les pratiques criminelles de l’histoire et en y opposant le respect de la vie et l’homme, on peut espérer éviter la répétition.

 

Un procès, même symbolique, est l’occasion de faire ressortir publiquement et pleinement la vérité. Il permet aux victimes d’être reconnues en tant que telles et de rendre inacceptable le sentiment et la volonté d’impunité des bourreaux. Grâce à un « rituel du procès », l’acte criminel publiquement jugé, offre l’occasion de « réaffirmer la supériorité de l’ordre sur le désordre » et permet à la société de recréer l’ordre social et juridique.

 

Le tableau qui suit, reproduit la photographie de l’évaluation de la réponse judiciaire.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

5  .( Luzolo Bambi lessa E J et Bayona Ba Meya N A, manuel de procédure pénale, PUC, Kin 2011, P 711 – 712)

 

 

                TABLEAU D’EVALUATION DE LA REPONSE JUDICIAIRE

 

 

REFERENCE DU

NOMBRE DES

AUTEURS

 

ETAT D’AVANCEMENT

NOTE D’OBSERVATION

 

 

DOSSIER ET BREF

VICTIMES

PRESUMES

 

 

 

 

 

 

RESUME DU RECIT

 

 

 

 

 

 

 

 

FACTUEL

 

 

 

 

 

 

1.

RP 030/031/032.

- 2 EXPERTS

Les miliciens

Le procès a débuté le 5 juin

L’instruction de la cause tire en

 

Assassinat des Experts

ONUSIENS

KAMUINA NSAPU.

2017 devant le Tribunal

longueur

 

onusiens venus enquêter

- 4 accompagnateurs

23 prévenus sont

Militaire de Garnison de

Les parties civiles ne se sont pas

 

sur les graves violations

congolais

poursuivis

Kananga sous RP

encore constituées.

 

des droits de l’homme et

 

 

435/19/258/230/18/276

Le procès est par moment

 

des accompagnateurs

 

 

et 266/17. Au mois d’avril

Suspendu pour diverses raisons do

 

congolais au village

 

 

2018, cette juridiction a

notamment, la participation des

 

MOYO MUSUILA près de

 

 

décliné sa compétence en

quelques membres de la compositio

 

la cité de Bunkonde le 12

 

 

faveur de la Cour Militaire,

aux assises du CSM,

 

mars 2017.

 

 

motif pris que la Cour était

l’indisponibilité des certains avocat

 

 

 

 

 

saisie à son tour pour les

aux audiences.

 

 

 

 

 

mêmes faits,  à charge des

Cette cause semble être un procès,

 

 

 

 

 

mêmes prévenus et un haut

dans un procès, dont l’un effectif q

 

 

 

 

 

officier des FARDC revêtu du

déroule au pays, l’autre invisible,

 

 

 

 

 

grade de Colonel. L’affaire

dehors de la République.

 

 

 

 

 

est en instruction.

 

 

2.

RMP 1354/LZA viol,

1.083 victimes

Les forces de

-

Auditions des victimes

Faible volonté de la hiérarchie

 

meurtre, extorsion, coup

assistées par le BCG

défense et de

 

avec l’appui du PNUD et

militaire de faire déclencher les

 

et blessure volontaire par

dont 854 auditionnées

sécurité

 

du BCNUDH au mois de

poursuites

 

balles de populations

à l’Auditorat Militaire

 

 

février 2020

 

 

 

civiles de la commune de

Supérieur de

 

-

Identification des fosses

 

 

 

Nganza lors de

l’ancienne Province du

 

 

communes avec l’appui

 

 

 

l’opération « porte à

Kasaï Occidental

 

 

de la Monusco

 

 

 

porte » effectuée par les

 

 

-

Commission rogatoire

 

 

 

forces de  défense et de

 

 

 

lancée

 

 

 

sécurité du 28 au 30

 

 

-  Demande de lever copie

 

 

 

mars 2017.

 

 

 

du dossier introduite par

 

 

 

 

 

 

 

 

le BCG à l’AMS par en

 

 

 

 

 

 

 

 

souffrance

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

4 | P a g e


 

 

 

 

 

 

 

 

 

3.

RMP 1723/BMG/19,

580 victimes

Les éléments des

-

Audition des victimes

Faible volonté de la hiérarchie

 

viol, torture et

assistées par le BCG

FARDC du 2101

 

avec l’appui du PNUD et

militaire pour faire avancer le

 

enlèvement des membres

dont 317 auditionnées

Régiment

 

BCNUDH

dossier

 

de l’Eglise Christ Roi

par l’AMS

 

-

Transmission du dossier

 

 

 

MULOMBODI aux

 

 

 

à l’Auditeur Général des

 

 

 

environs de l’Aéroport de

 

 

 

FARDC en février 2020.

 

 

 

Kananga par les

 

 

-

Interrogatoire d’un haut

 

 

 

éléments des FARDC du

 

 

 

officier qui serait impliqué

 

 

 

22 au 23 septembre

 

 

 

dans l’affaire

 

 

 

2016

 

 

 

 

 

 

4.

RMP 1354/LZA/017

54 victimes de viol

Forces de la

Aucun acte posé

Faible volonté de la hiérarchie

 

BMG, viol des

 

défense et de

 

 

militaire de déclencher les

 

populations de la

 

sécurité

 

 

poursuites.

 

Commune de Katoka en

 

 

 

 

 

 

 

prosécution de

 

 

 

 

 

 

 

l’opération « Porte à

 

 

 

 

 

 

 

porte » des forces de la

 

 

 

 

 

 

 

défense et de la sécurité

 

 

 

 

 

 

 

effectuées à Nganza du

 

 

 

 

 

 

 

28 au 30 mars 2017.

 

 

 

 

 

 

5.

RMP 1355/LZA 017, viol,

-

Les éléments des

Aucun acte posé

Faible volonté de la hiérarchie

 

meurtre des populations

 

FARDC 2101

 

 

militaire de déclencher les

 

en persécution de traque

 

Régiment

 

 

enquêtes et les poursuites.

 

des miliciens à la suite

 

 

 

 

 

 

 

de l’attaque de l’Aéroport

 

 

 

 

 

 

 

de Kananga les 22-23

 

 

 

 

 

 

 

septembre 2016.

 

 

 

 

 

 

6.

RMP 1320/KWIZ/017

4 victimes

Les miliciens

Aucun acte posé

Faible volonté de la justice

 

assassinat des

 

 

 

 

militaire de déclencher les

 

Inspecteurs de

 

 

 

 

enquêtes et les poursuites.

 

l’éducation envoyés en

 

 

 

 

 

 

 

mission à Bayamba

 

 

 

 

 

 

 

dans le Territoire de

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



 

Kazumba pour

 

 

 

 

 

 

 

 

superviser les épreuves

 

 

 

 

 

 

 

 

des examens d’Etat

 

 

 

 

 

 

 

7.

RMP 1356/LZA/2017.

200 victimes

Eléments des

-

Mission d’enquêtes

Faible volonté de la hiérarchie

 

Le 7 mai 2017 un effectif

assistées par BCG

FARDC secteur

 

effectuée avec l’appui

militaire de faire avancer le

 

indéterminé des FARDC

 

 

opérationnel

 

de la Monusco du 11

dossier.

 

seraient arrivés dans le

 

 

grand Kasai

 

au 14 juin 2018.

 

 

 

village Tshisuku, du

 

 

 

-

Exhumation des corps

 

 

 

groupement Bakua

 

 

 

 

dans 7 fosses

 

 

 

Nzeba à bord d’au moins

 

 

 

 

communes.

 

 

 

4 camions et auraient

 

 

 

-

Le dossier en cours

 

 

 

tiré sur la foule des

 

 

 

 

d’instruction

 

 

 

personnes qui se

 

 

 

-

Commission rogatoire

 

 

 

trouvaient au marché

 

 

 

 

lancée.

 

 

 

avant de prendre la

 

 

 

-   Levée copie du dossier

 

 

 

direction de Kananga en

 

 

 

 

par le BCG

 

 

 

emportant les

 

 

 

 

 

 

 

 

marchandises et de

 

 

 

 

 

 

 

 

sommes d’argent.

 

 

 

 

 

 

 

8.

RMP 1733 assassinat de

-

1 hôtesse Congo

Les miliciens

-

Dossier en cours

Pas de progrès significatif

 

3 militaires des forces

 

Airways

KAMUINA NSAPU

 

d’instruction

 

 

 

aériennes et d’une

-

3 militaires

 

 

 

 

 

 

hôtesse de Congo

 

 

 

 

 

 

 

 

Airways lors de l’attaque

 

 

 

 

 

 

 

 

de l’aéroport de Kananga

 

 

 

 

 

 

 

 

le 22 septembre 2016

 

 

 

 

 

 

 

9

RMP 1235/BMG/2017

 

-   Plusieurs

Miliciens

Mission d’enquête effectuée

Lenteur dans l’instruction du

 

attaque et occupation de

 

victimes.

KAMUINA NSAPU

du 19 au 21 juin 2018 avec

dossier

 

la ville de Luebo le 31

 

 

dont 4 chefs de

l’appui de la Monusco,

 

 

 

mars 2017 par près de

 

 

groupement

arrestation de 2 chefs

 

 

 

500 miliciens KAMUINA

 

 

 

miliciens tous transférés à

 

 

 

NSAPU.

 

 

 

Kinshasa

 

 

 

Edifices publics et

 

 

 

 

 

 

 

 

bâtiments administratifs

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



 

détruits, saccagés et

 

 

 

 

 

pillés, décapitation

 

 

 

 

 

publique de l’épouse de

 

 

 

 

 

l’Administrateur du

 

 

 

 

 

Territoire

 

 

 

 

10.

RMP 1283/BMG/2017

 

25 chefs de

Aucun acte posé

-manque de moyens pour

 

recrutement des enfants

 

Groupements

 

organiser les enquêtes

 

dans la milice par 25

 

 

 

 

 

chefs de groupements

 

 

 

 

 

dans le secteur de Luebo

 

 

 

 

 

Lulengele

 

 

 

 

11.

RMP 1424/BMG/2018

102 victimes

Eléments des

Aucun acte posé

Faible  volonté pour  déclencher

 

exécution de 102

 

FARDC

 

les poursuites et manque de

 

personnes par les forces

 

 

 

moyen pour organiser les

 

de défense et de sécurité

 

 

 

enquêtes.

 

à MUTSHIMA

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

12.

RMP 1426/LZA/018

50 victimes

Eléments des

Pas  d’avancée significative

Manque de moyens pour

 

exécution de 50 civils par

 

FARDC

 

diligenter les enquêtes

 

les FARDC à Tshimbulu

 

 

 

 

 

dans le territoire de

 

 

 

 

 

Dibaya

 

 

 

 

13.

RMP 1421/LZA/018

37 policiers

Miliciens

Arrestation et détention de 3

Manque de moyens pour

 

BMG décapitation des 37

 

 

chefs miliciens à la Prison de

diligenter les enquêtes

 

policiers par les miliciens

 

 

Tshikapa dont un chef

 

 

à MALENGA

 

 

milicien MUBIAYI DEWAYO.

 

 

 

 

 

Dossier en d’instruction

 

14.

RMP 1423/BMG/018

283 victimes

Les éléments des

Pas d’avancée significative

Manque de moyens pour

 

massacre de 283

 

FARDC

 

diligenter les enquêtes

 

personnes par les forces

 

 

 

 

 

de défense et de sécurité

 

 

 

 

 

à DIBOKO

 

 

 

 

 

 

 III.         EVALUATION DE LA REPONSE EXTRA JUDICIAIRE.

 

La plus part   des Etats qui ressortent des dictatures et des

 

situations de conflits armés sont heurtées à la problématique du rétablissement, du maintien et de la consolidation de la paix.

 

A l’évidence, à ce point de vue, les mécanismes politiques priment sur les judiciaires .Concernant la situation du Kasaï, l’Equipe des Experts internationaux avait recommandé, comme souligné dans l’introduction du rapport, aux autorités compétentes congolaises la mise en place d’un mécanisme inclusif de justice transitionnelle visant à établir la vérité, à identifier les causes profondes de la crise et à apporter réparation aux victimes afin d’assurer la réconciliation. (6)

 

Mais, bien avant ce rapport, rappelons que le Gouvernement congolais avait organisé la Conférence sur la paix, la réconciliation et le développement de l’espace Kasaï à Kananga, du 19 au 22 septembre 2017.

 

Les recommandations issues de ce forum n’ont jamais été portées à la connaissance du public jusqu’à ce jour, et aucun mécanisme de suivi n’a été mis en place, alors que dans son discours inaugural, le Président honoraire avait préconisé la conclusion d’un pacte de réconciliation que devait sceller les fils et filles de l’espace, en vue de consacrer un nouveau départ vers la conquête de la modernité.(7)

 

Dans le cadre de l’accomplissement de son mandat, l’Equipe des Experts internationaux avait organisé, du 17 au 18 avril 2019, un atelier rassemblant les parties prenantes aux efforts de réconciliation et de justice de transition dans la région.

 

Lors de ces assises, trois rituels de réconciliation dans la région du Kasaï ont été évoqués à savoir : a) boire dans la même coupe ( kunua cibalu), b) conjurer le mal( mucipu cikandakanda), et c) pactiser pour la paix ( kutua ndondo wa bupole).

 

Cet atelier avait pour objectif principal de créer un espace de réflexion informelle, d’entente et de travail entre les acteurs politiques et sociaux impliqués dans la réconciliation dans la société kasaienne (8).

 

Dans la perspective de la mise en      œuvre de l’axe II         du

 

Projet : « paix,  justice,  réconciliation  et reconstruction  au  Kasaï  central,    le

 

Gouvernement  provincial,  avec  l’appui  technique  du  Bureau  Conjoint  des

 

6  Rapport de l’Equipe des Experts internationaux du « juillet 2018 (AHRC/3831) p19

7 Discours inaugural  de la conférence pour la paix, la réconciliation et le développement de l’espace Kasaï.

8 Rapport de l’atelier sur la réconciliation dans l’espace Kasaï du 17 au 18 avril 2019.

 

8 | P a g e


nations unies aux droits de l’homme, a organisé du 15 au 23 aout 2019, des consultations populaires relatives aux besoin de justice, réparation et prévention de nouveaux conflits dans la Province du Kasaï central.

 

Il se dégage du rapport de ces consultations populaires que la majorité des personnes interviewées à hauteur de 88,6% s’étaient exprimées en faveur de la création d’une Commission Vérité, Justice et réconciliation. (9)

 

Bien que le Gouverneur de Province ait pris l’engagement de prendre toutes les mesures nécessaires pour mettre en œuvre les recommandations formulées, dont entre autres, celle relative à l’élaboration d’un Edit portant création de la Commission vérité, justice et réconciliation, celles-ci sont restées lettre morte jusqu’à ce jour.

 

IV.     CONCLUSIONS  ET RECOMMANDATIONS.

 

Malgré le déroulement du procès des Experts des nations unies commencé il y a 3 ans, l’ouverture des dossiers judiciaires par l’Auditorat militaire supérieur, l’audition de quelques victimes, l’arrestation de quelques auteurs, il y a lieu d’observer que la lutte contre l’impunité des crimes graves dans le Kasaï n’a pas encore connu une avancée significative.

 

La lutte contre l’impunité des crimes graves n’a pas encore produit des résultats concrets. La justice militaire éprouve d’énormes difficultés en termes d’effectif réduit des magistrats, de manque de moyens financiers conséquents pour assurer le fonctionnement et mener efficacement les enquêtes, de carence criante de la logistique, d’ absence d’une expertise médico légale pour l’exhumation de fosses communes et les tombes parcellaires, d’influence négative de la hiérarchie et du commandement militaire, de manque d’espace sécurisé pour la conservation des éléments de preuve, etc.

 

Concernant la réponse extrajudiciaire, il se dégage qu’aucun progrès notoire n’a été enregistré. Trois ans après, les pouvoirs publics n’ont pas encore réussi de traduire l’initiative d’un mécanisme inclusif de justice traditionnel en acte concret.

 

Le mécanisme provincial préconisé par le BCNUDH risque de se butter à l’absence de volonté du Gouvernement central qui est pointé du doigt accusateur sur la situation du Kasaï et au manque de moyens pour indemniser les victimes.

 

 

 

 

9 Rapport final des consultations populaires, Kananga, février 2020, p24.

 


Pendant ce temps, les nombreuses victimes sont placées dans une situation de précarité telle qu’elles ne peuvent pas demeurer indéfiniment sans secours. Pour elles, le temps est précieux et le dénouement du procès est, à bien des égards, la seule issue pour la fin de leurs souffrances. Mais, un procès ne peut se dénouer que dans un laps de temps relativement long contenu dans un délai raisonnable.

 

Le délai raisonnable expose les victimes à l’inconfort du doute et du suspens, qui met en péril et la vérité des faits et leur processus de ré humanisation. Le temps qui passe, c’est la vérité qui s’enfuit.

 

Les victimes sont plongées dans la loi du silence, ruminant leur malheur et comptant la justice, pourtant leur alliée, parmi leurs bourreaux.

 

 

Eu égard à ce précède, la Société congolaise pour l’Etat de droit recommande :

 

-          Au Président de la république :

 

De traduire sa volonté politique de lutter contre l’impunité et d’instaurer un véritable Etat de droit en acte, en dotant la justice militaire de moyens financiers, logistiques , scientifiques, humains conséquents,


 

De déférer, à défaut des moyens, devant la Cour Pénale Internationale ou d’œuvrer tribunal pénal spécial pour le Kasaï en RDC.


la situation du Kasaï pour la création d’un


 

De mettre en place un fonds d’indemnisation des victimes des crimes graves.

 

A l’extrême impossible, présenter au nom de l’Etat congolais des excuses légitimes au peuple Kasaï au cours d’une circonstance solennelle et engagé le Gouvernement congolais à indemniser les victimes avec les réparations collectives.

 

-          A la communauté internationale :

 

D’augmenter son attention sur la lutte contre l’impunité des crimes commis et se mobiliser pour la création d’un tribunal pénal spécial pour le kasai.

 

-          Aux victimes :

 

De s’organiser en association pour garder la flamme de l’espoir et faire entendre chaque fois leur parole en vue, de leur reconnaissance.


 

 

 

 ABBREVIATIONS

 

 AMS : Auditeur Militaire Supérieur

 

ANR : Agence Nationale de Renseignement

 

BCG : Bureau de Consultations Gratuites

 

BCNUDH : Bureau Conjoint des Nations Unies aux Droits de l’Homme

 

DGM : Direction Générale de Migration

 

FARDC : Forces Armées de la République Démocratique du Congo

 

MONUSCO : Mission des Nations Unies pour la Stabilisation du Congo

 

PNC : Police Nationale Congolaise

 

RDC : République Démocratique du Congo

 

RP : Rôle Pénal

 

RMP : Registre du Ministre Public

 

PNUD : Programme des Nations Unies pour le Développement.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


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