LUTTE CONTRE L’IMPUNITE DES CRIMES GRAVES EN REPUBLIQUE DEMOCRATIQUE DU CONGO « LA SOCIETE CONGOLAISE POUR L’ETAT DE DROIT EVALUE LA REPONSE JUDICIAIRE ET EXTRAJUDICIAIRE AUX ATROCITES COMMISES DANS LA REGION DU KASAI »
I.
INTRODUCTION :
Entre 2016 et 2017, la Région du
Kasaï, en République Démocratique du Congo, a connu une vague de violences
sanglantes perpétrées par des groupes armés (les milices KAMUINA NSAPU, BANA
MURA et Ecurie MBEMBE) et des éléments des forces de défense et de sécurité
(FARDC, PNC, ANR et DGM).
Plusieurs
milliers de personnes ont perdu la vie, d’innombrables exactions ont été
commises contre des civils et des villages entiers ont été incendiés et pillés.
Les violences ont également occasionné le déplacement de plus d’un million de
personnes, provoquant ainsi une crise humanitaire aiguë (1).
A la demande du Conseil des droits
de l’homme, le Haut-Commissaire des Nations Unies aux Droits de l’homme avait
dépêché en 2017 une Equipe de trois Experts Internationaux afin d’établir les
faits et les circonstances des violations présumées des droits de l’homme et
des violations au droit international humanitaire dans la Région du Kasaï.(2)
Du
haut de la tribune de la Conférence sur la paix, la réconciliation et le
développement dans l’espace Kasaien tenue à Kananga au mois de septembre 2017,
l’ancien Président Joseph KABILA avait dit dans son discours inaugural que : «
voilà pourquoi, depuis le mois de mars 2017, j’exige que justice soit faite. Qu’aucun
crime commis ne reste impuni ; Qu’aucun responsable à des degrés divers
impliqués ne soit épargné par la reddition des comptes » (3).
Dans
son rapport soumis au Conseil des droits de l’homme en juillet 2018, l’Equipe
des Experts Internationaux avait conclu que les parties en présence avaient :
a) délibérément
tué des civils dont de nombreux enfants,
b)
commis
de nombreuses atrocités, notamment de mutilation, des viols et d’autres formes de
violences sexuelles,
c) détruit
des villages entiers.
(1)
Rapport de l’Equipe d’Experts Internationaux sur la situation au Kasaï
(A/HRC/3821, P. 105 à 109. (2 ) Résolution
(3)
Discours inaugural de la Conférence sur la paix, la réconciliation et le
développement de l’espace Kasaien 2017.
Elle
avait également conclu que certaines de ces exactions constituaient des crimes
contre l’humanité ou des crimes de guerre, ainsi que des violations graves des
droits de l’homme.
Prenant
note avec préoccupation des conclusions formulées par l’Equipe d’Experts
internationaux, le Conseil des droits de l’homme avait demandé au
Haut-Commissaire de dépêcher une nouvelle équipe en vue d’assurer le suivi et
soutenir la mise en œuvre par la RDC des recommandations par l’Equipe
précédente.
C’est dans ce cadre que les Experts
internationaux, Bacre Waly et Sheila Keetharuth ainsi que le Secrétariat mis en
place ont apporté leur soutien aux autorités compétentes congolaises, en
organisant des ateliers thématiques, l’un sur la stratégie d’enquêtes et de
poursuites dans le cadre de la lutte contre l’impunité le 28 février 2019, à
Tshikapa et l’autre rassemblant les parties prenantes aux efforts de
réconciliation et de justice de transition dans la région du Kasaï les 17 et
18, à Kananga.
Guidé
par les principes internationaux en matière de sélection et de hiérarchisation des
dossiers et orienté par la stratégie de poursuites des crimes internationaux, l’Auditorat
militaire supérieur de l’ancien Kasaï –occidental avait arrêté avec le soutien
de la MONUSCO et du PNUD une liste de 16 incidents considérés comme
prioritaires pour enquêtes.
Il s’agit des dossiers suivants :
- les opérations « porte à porte » des FARDC dans la Commune de Nganza, - les
opérations » porte à porte » du camp de l’Eglise Christ Roi Mulombodi, - la
disparition des inspecteurs de l’enseignement primaire et secondaire, - l’attaque
menée par les éléments de FARDC au marché du village Tshisuku, - le meurtre de
37 policiers de la Légion nationale d’ intervention de la Police Nationale
Congolaise, - le maintien et la captivité des femmes et des enfants par les
miliciens Bana Mura, - le recrutement d’enfants dans le Territoire de Luebo
Lulengele, - l’incendie de l’archevêché, des écoles et décapitation de l’épouse
de l’Administrateur du Territoire de Luebo, - l’affaire Mutshima, - l’affaire
Diboko, l’affaire Tshikapa, - le dossier de viol collectif à Katoka, - le
dossier Tshimpidinga, - le dossier Nkoto, - dossier Maswika, et - le dossier
massacre de Tshimbulu (4).
A ces
dossiers, il convient d’ajouter celui de l’assassinat des deux Experts Onusiens
Zaida Catalan et Michael Sharp.
Près
de quatre ans après la perpétration de ces incidents, la Société Congolaise
pour l’Etat de Droit a jugé opportun de se livrer à un exercice très périlleux
consistant à évaluer les réponses apportées sur le plan judiciaire et extrajudiciaire.
(4) Rapport de l’EEI
sur la situation au Kasaï (AIHRC G1/B1) page 31 – 38.
Cette
évaluation concerne 14 dossiers un total de 17 jugés emblématiques et
prioritaires par l’office de l’AMS.
En élaborant ce rapport, la
Société Congolaise pour l’Etat de droit voudrait apporter sa pierre dans la
construction d’un véritable Etat de droit par la lutte contre l’impunité, qui
représente le triomphe du mensonge, du silence et de l’oubli.5
II.
EVALUATION DE LA REPONSE JUDICIAIRE.
La réponse judiciaire apportée à
la situation des crimes commis dans la Région du Kasaï est essentiellement
donnée par la justice militaire. Celle-ci vise à lutter efficacement contre l’impunité,
non seulement en traduisant les auteurs des crimes devant les instances
judiciaires.
Elle vise également le
rétablissement de la vérité, la sanction juridique des criminels et la
reconstruction de l’Etat sur les bases démocratiques. En condamnant les
pratiques criminelles de l’histoire et en y opposant le respect de la vie et l’homme,
on peut espérer éviter la répétition.
Un procès, même symbolique, est l’occasion
de faire ressortir publiquement et pleinement la vérité. Il permet aux victimes
d’être reconnues en tant que telles et de rendre inacceptable le sentiment et la
volonté d’impunité des bourreaux. Grâce à un « rituel du procès », l’acte
criminel publiquement jugé, offre l’occasion de « réaffirmer la supériorité de
l’ordre sur le désordre » et permet à la société de recréer l’ordre social et
juridique.
Le tableau qui suit, reproduit la
photographie de l’évaluation de la réponse judiciaire.
5 .( Luzolo Bambi lessa E J et Bayona Ba Meya
N A, manuel de procédure pénale, PUC, Kin 2011, P 711 – 712)
N° |
|
REFERENCE
DU |
NOMBRE DES |
AUTEURS |
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ETAT D’AVANCEMENT |
NOTE D’OBSERVATION |
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DOSSIER
ET BREF |
VICTIMES |
PRESUMES |
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RESUME
DU RECIT |
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FACTUEL |
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1. |
RP 030/031/032. |
- 2
EXPERTS |
Les miliciens |
Le procès a débuté le 5 juin |
L’instruction de la cause tire en |
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Assassinat des Experts |
ONUSIENS |
KAMUINA NSAPU. |
2017 devant le Tribunal |
longueur |
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|
onusiens venus enquêter |
- 4
accompagnateurs |
23 prévenus sont |
Militaire de Garnison de |
Les parties civiles ne se sont pas |
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sur les graves violations |
congolais |
poursuivis |
Kananga sous RP |
encore constituées. |
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des droits de l’homme et |
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435/19/258/230/18/276 |
Le procès est par moment |
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|
des
accompagnateurs |
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et
266/17. Au mois d’avril |
Suspendu pour diverses raisons do |
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|
congolais au village |
|
|
2018, cette juridiction a |
notamment, la participation des |
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|
MOYO
MUSUILA près de |
|
|
décliné
sa compétence en |
quelques membres de la compositio |
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|
la cité de Bunkonde le 12 |
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faveur de la Cour Militaire, |
aux assises du CSM, |
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mars
2017. |
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motif
pris que la Cour était |
l’indisponibilité des certains avocat |
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|
saisie
à son tour pour les |
aux
audiences. |
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mêmes faits, à
charge des |
Cette cause semble être un procès, |
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|
|
mêmes
prévenus et un haut |
dans
un procès, dont l’un effectif q |
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|
officier des FARDC revêtu du |
déroule au pays, l’autre invisible, |
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|
grade
de Colonel. L’affaire |
dehors
de la République. |
||
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|
est
en instruction. |
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2. |
RMP 1354/LZA viol, |
1.083 victimes |
Les forces de |
- |
Auditions des victimes |
Faible volonté de la hiérarchie |
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meurtre, extorsion, coup |
assistées par le BCG |
défense et de |
|
avec
l’appui du PNUD et |
militaire de faire déclencher les |
||
|
et blessure volontaire par |
dont 854 auditionnées |
sécurité |
|
du
BCNUDH au mois de |
poursuites |
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|
balles de populations |
à l’Auditorat Militaire |
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février
2020 |
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civiles de la commune de |
Supérieur de |
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- |
Identification des fosses |
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Nganza lors de |
l’ancienne Province du |
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communes
avec l’appui |
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l’opération « porte à |
Kasaï Occidental |
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de
la Monusco |
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porte » effectuée par les |
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- |
Commission rogatoire |
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forces de défense
et de |
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lancée |
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sécurité du 28 au 30 |
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- Demande de lever copie |
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mars 2017. |
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du
dossier introduite par |
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le
BCG à l’AMS par en |
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souffrance |
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4 | P a g e |
La plus part des Etats qui ressortent des dictatures et
des
situations de conflits armés sont heurtées à la
problématique du rétablissement, du maintien et de la consolidation de la paix.
A l’évidence, à ce point de vue,
les mécanismes politiques priment sur les judiciaires .Concernant la situation
du Kasaï, l’Equipe des Experts internationaux avait recommandé, comme souligné
dans l’introduction du rapport, aux autorités compétentes congolaises la mise
en place d’un mécanisme inclusif de justice transitionnelle visant à établir la
vérité, à identifier les causes profondes de la crise et à apporter réparation
aux victimes afin d’assurer la réconciliation. (6)
Mais,
bien avant ce rapport, rappelons que le Gouvernement congolais avait organisé
la Conférence sur la paix, la réconciliation et le développement de l’espace
Kasaï à Kananga, du 19 au 22 septembre 2017.
Les
recommandations issues de ce forum n’ont jamais été portées à la connaissance
du public jusqu’à ce jour, et aucun mécanisme de suivi n’a été mis en place,
alors que dans son discours inaugural, le Président honoraire avait préconisé la
conclusion d’un pacte de réconciliation que devait sceller les fils et filles
de l’espace, en vue de consacrer un nouveau départ vers la conquête de la
modernité.(7)
Dans le cadre de l’accomplissement
de son mandat, l’Equipe des Experts internationaux avait organisé, du 17 au 18
avril 2019, un atelier rassemblant les parties prenantes aux efforts de
réconciliation et de justice de transition dans la région.
Lors
de ces assises, trois rituels de réconciliation dans la région du Kasaï ont été
évoqués à savoir : a) boire dans la même coupe ( kunua cibalu), b) conjurer le
mal( mucipu cikandakanda), et c) pactiser pour la paix ( kutua ndondo wa
bupole).
Cet atelier avait pour objectif
principal de créer un espace de réflexion informelle, d’entente et de travail
entre les acteurs politiques et sociaux impliqués dans la réconciliation dans
la société kasaienne (8).
Dans la perspective de la mise en œuvre de l’axe II du
Projet : « paix,
justice, réconciliation et reconstruction au
Kasaï central, le
Gouvernement provincial,
avec l’appui technique
du Bureau Conjoint
des
6 Rapport de l’Equipe des
Experts internationaux du « juillet 2018 (AHRC/3831) p19
7
Discours inaugural de la conférence pour
la paix, la réconciliation et le développement de l’espace Kasaï.
8 Rapport de
l’atelier sur la réconciliation dans l’espace Kasaï du 17 au 18 avril 2019.
8 | P
a g e
nations unies aux droits de l’homme,
a organisé du 15 au 23 aout 2019, des consultations populaires relatives aux
besoin de justice, réparation et prévention de nouveaux conflits dans la
Province du Kasaï central.
Il se
dégage du rapport de ces consultations populaires que la majorité des personnes
interviewées à hauteur de 88,6% s’étaient exprimées en faveur de la création d’une
Commission Vérité, Justice et réconciliation. (9)
Bien que le Gouverneur de Province
ait pris l’engagement de prendre toutes les mesures nécessaires pour mettre en
œuvre les recommandations formulées, dont entre autres, celle relative à l’élaboration
d’un Edit portant création de la Commission vérité, justice et réconciliation,
celles-ci sont restées lettre morte jusqu’à ce jour.
IV. CONCLUSIONS
ET RECOMMANDATIONS.
Malgré le déroulement du procès
des Experts des nations unies commencé il y a 3 ans, l’ouverture des dossiers
judiciaires par l’Auditorat militaire supérieur, l’audition de quelques
victimes, l’arrestation de quelques auteurs, il y a lieu d’observer que la
lutte contre l’impunité des crimes graves dans le Kasaï n’a pas encore connu
une avancée significative.
La lutte contre l’impunité des
crimes graves n’a pas encore produit des résultats concrets. La justice
militaire éprouve d’énormes difficultés en termes d’effectif réduit des
magistrats, de manque de moyens financiers conséquents pour assurer le
fonctionnement et mener efficacement les enquêtes, de carence criante de la
logistique, d’ absence d’une expertise médico légale pour l’exhumation de fosses
communes et les tombes parcellaires, d’influence négative de la hiérarchie et
du commandement militaire, de manque d’espace sécurisé pour la conservation des
éléments de preuve, etc.
Concernant la réponse extrajudiciaire, il se dégage qu’aucun
progrès notoire n’a été enregistré. Trois ans après, les pouvoirs publics n’ont
pas encore réussi de traduire l’initiative d’un mécanisme inclusif de justice
traditionnel en acte concret.
Le mécanisme provincial préconisé par le BCNUDH risque de
se butter à l’absence de volonté du Gouvernement central qui est pointé du
doigt accusateur sur la situation du Kasaï et au manque de moyens pour
indemniser les victimes.
9 Rapport final des
consultations populaires, Kananga, février 2020, p24.
Pendant
ce temps, les nombreuses victimes sont placées dans une situation de précarité
telle qu’elles ne peuvent pas demeurer indéfiniment sans secours. Pour elles,
le temps est précieux et le dénouement du procès est, à bien des égards, la
seule issue pour la fin de leurs souffrances. Mais, un procès ne peut se
dénouer que dans un laps de temps relativement long contenu dans un délai
raisonnable.
Le délai raisonnable expose les
victimes à l’inconfort du doute et du suspens, qui met en péril et la
vérité des faits et leur processus de ré humanisation. Le temps qui
passe, c’est la vérité qui s’enfuit.
Les victimes sont plongées dans la
loi du silence, ruminant leur malheur et comptant la justice, pourtant leur
alliée, parmi leurs bourreaux.
Eu
égard à ce précède, la Société congolaise pour l’Etat de droit recommande :
-
Au
Président de la république :
De
traduire sa volonté politique de lutter contre l’impunité et d’instaurer un
véritable Etat de droit en acte, en dotant la justice militaire de moyens
financiers, logistiques , scientifiques, humains conséquents,
De déférer, à défaut des moyens,
devant la Cour Pénale Internationale ou d’œuvrer tribunal pénal spécial pour le
Kasaï en RDC.
la
situation du Kasaï pour la création d’un
De mettre
en place un fonds d’indemnisation des victimes des crimes graves.
A l’extrême impossible, présenter
au nom de l’Etat congolais des excuses légitimes au peuple Kasaï au cours d’une
circonstance solennelle et engagé le Gouvernement congolais à indemniser les
victimes avec les réparations collectives.
-
A
la communauté internationale :
D’augmenter son attention sur la
lutte contre l’impunité des crimes commis et se mobiliser pour la création d’un
tribunal pénal spécial pour le kasai.
- Aux victimes :
De
s’organiser en association pour garder la flamme de l’espoir et faire entendre chaque
fois leur parole en vue, de leur reconnaissance.
ANR :
Agence Nationale de Renseignement
BCG :
Bureau de Consultations Gratuites
BCNUDH
: Bureau Conjoint des Nations Unies aux Droits de l’Homme
DGM :
Direction Générale de Migration
FARDC
: Forces Armées de la République Démocratique du Congo
MONUSCO
: Mission des Nations Unies pour la Stabilisation du Congo
PNC :
Police Nationale Congolaise
RDC :
République Démocratique du Congo
RP :
Rôle Pénal
RMP :
Registre du Ministre Public
PNUD :
Programme des Nations Unies pour le Développement.
L'Etat de Droit sera restauré un jour
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